L'ORMEAU ET LE ROI HENRI IV

Bien avant la mise en place de la déviation de la commune en 1978 ; les vacanciers qui descendaient de Nantes pour se diriger vers la côte vendéenne remarquaient au virage, face au cimetière, la présence insolite d'un orme au tronc évidé noueux et squelettique adossé sur le mur du cimetière (1) et prenant  toute la largeur du trottoir et au delà. Cet arbre a vu passer une guerre civile et les troupes allemandes en juin 1940 ainsi que le passage du tour de France en juillet 1974 lors de l’étape Saint-Gilles Croix-de-Vie/Nantes. Les anciens habitants et les natifs de cette commune se souvenaient  de cet orme appelé l’ormeau qui est resté comme une relique sentimentale  tel un totem tutélaire végétal qui a vu passer de nombreuses générations au fil du temps.

Dans la tradition orale, on le désignait sous le vocable de l’arbre du bon roi Henri IV ; la légende voulait qu’il se serait arrêté à la Marne et il aurait attaché son cheval au tronc de l’orme. Cet arbre a servi également de lieu de recrutement pendant la grande et sanglante épopée de la grande révolution ; nous verrons que dans la légende se trouve une part de vérité en se posant des interrogations.

Le nom de l’ormeau si souvent prononcé (une salle de la commune  a été baptisée sous ce vocable ainsi qu’un titre d’un éphémère bulletin destinée à la jeunesse marnaise au début des années 1970) a plutôt une consonance patoisante : le patois était très usité dans le langage quotidien dans le milieu rural avec un lexique propre, des tournures grammaticales et des expressions issues du vieux français médiéval. Or, l’orme est désigné sous cette dénomination rurale d’ormeau alors que ce dernier signifie dans le vocabulaire du français correct, un jeune plant d’orme. Cet arbre typique des forêts tempérés et du bocage  « Ulmus minor »  de la famille des ulmacées atteignant de 20 à 30 mètres de haut à feuilles dentelées était autrefois une essence ligneuse solide et souple de la plus haute importance, il fournissait à l’ébénisterie un bois de placage de grande valeur grâce à sa texture caractéristique ; également en charpenterie. En Loire-Atlantique (2), il était particulièrement présent dans les zones littorales car il résistait bien aux embruns de l’océan. Mais dans les années 1960, cette essence a commencé a être menacée par une maladie, la graphiose dont l’agent est un champignon microscopique si bien que les ormes ont peu à peu disparu des forêts françaises de l’ordre de 95 % en une vingtaine d’années !!! Celui de la Marne n’a pas échappé à l’hécatombe : il a été abattu durant l’été 1983 suite un dépérissement subit du dernier rejeton.

L’orme de la Marne a été planté intentionnellement  au chevet de l’ancienne église (démolie en 1878) laissant place au cimetière actuel. Cet arbre se trouvait précisément au coeur historique de la commune, au carrefour des trois rues, et surtout sur la place du vieux bourg au commencement de la rue de Nantes. Remarquez, au passage, la largeur  inusitée de cette rue par l’alignement latéral des maisons. Ainsi l’orme planté au centre du bourg avait pour fonction d’être un arbre de justice.

En effet, une ordonnance de Sully, ministre d’Henri IV en 1605 (3) prescrivait de planter un ou plusieurs ormes en face de l’église de toutes les paroisses de France et de Navarre. Pour cette raison, on les désignait  comme arbres de Sully ou arbres d’Henri IV. C’est auprès de ces ormes qu’on se réunissait pour traiter les affaires civiles et paroissiales. Cette coutume  est très ancienne puisque nous trouvons dès 1212, cette année-là, l’abbé de la Chaume en Machecoul est « témoin sous l’orme » d’un don aux templiers. Les magistrats dépourvus de tribunal étaient dits « juges sous l’orme ». « Attendez-moi sous l’orme » exprimait la volonté de ne pas répondre à une convocation. Les arbres de place (tilleuls dans l’est de la France) plus récemment marronniers ou platanes étaient également des lieux d’information de la population, le lieu de rencontres et des conciliabules. A l’instar de l’orme de la Marne qui a survécu , quelques uns  sont parvenus jusqu’à du moins à notre époque tels que ceux de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, des Moutiers et de la Galissonnière sise au Pallet.

En outre de la dénomination de l’orme du bon roi Henri IV, il est probable qu’il soit passé par le bourg de la Marne , sans doute en 1588, Henri de Navarre le futur Henri IV qui est allé faire une excursion militaire dans le sud du pays de Retz pour combattre les huguenots. C’est pourquoi les marnais d’antan avaient laissé cet orme pour le vestige d’un passage   pendant plus de 370 ans et au fil des générations la mémoire s’est quelque fois enjolivée par d’autres détails .

Une chanson du XIX ème siècle (4) a été même composée à propos de cet orme pendant une période troublée, la paroisse de la Marne fut l’un des fiefs de l’armée de Charette et surtout  un centre de recrutement : les officiers royalistes inscrivaient les nouvelles recrues de l’armée vendéenne :

                                  

Pendant plus de 370 ans, cette imposante relique végétale a passé bien des hivers, des étés et essuyé bien des tempêtes, supporté bien des sécheresses. L'arbre a donc résisté à l’injure du temps malgré tout. Combien les enfants et les adolescents de toutes époques ont essayé de grimper sur le tronc à loupes ? 

À partir de photographies et d’une aquarelle, sur une durée de plus de cent ans, nous voyons bien le lent déclin de l’orme car déjà, en 1870, il avait atteint sa maturité et le tronc principal commençait à se dessécher et l’écorce partait en lambeaux. Entre 1870 et 1910, deux rejetons sont apparus de chaque côté du pied ; le tronc s’évidait de plus en plus ce qui faisait la joie des écoliers qui s'y cachaient, jusqu’à ce que les employés municipaux l’abattent complètement au début des  années 1950 laissant les deux rejetons s’épanouir chacun de leur côté cardinal, l’un à l’orient et l’autre à l’occident.

Le rejeton occidental a dépéri et finalement il a été écimé au début des années 1970. L’autre a soudainement dépéri suite à un orage violent en juillet 1983 et les feuilles ont jauni . Alors la municipalité avait décidé par précaution pour la voirie de procéder à l’abattage complet et à l’enlèvement total des carcasses évidées. On peut légitiment penser que l’orme en général supporte très mal la pollution mis à part la graphiose.

Certains habitants nouvellement issus de divers horizons découvrent cet arbre mythique, et d’autres habitants depuis longtemps ont pu remonter le temps et retrouver un brin de nostalgie grâce aux photographies, la plupart inédites. Au delà du vestige, cet orme était un totem ligneux qui représentait pour beaucoup de marnais, au long des siècles, une figure triséculaire intemporelle.... 

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1 « Annales de Nantes n°161»  article de Jean Haubois

2 « Arbres remarquables en Loire Atlantique» Coiffard librairie.

3 « les Moûtiers» Émile Boutin

4 « histoire religieuse du pays de Retz » Émile Boutin

Accident, début années 1960

Juste avant l'abattage, été 1983

vieil ormeau, 2 février 1949

L'ormeau, 1910

l'ormeau et l'ancienne église détail de l'aquarelle abbé boutin années 1870

1930

année 1950 : ménagères au pied de l'ormeau faisant les courses

neige février 1954